mardi 9 juin 2009

Omar Bongo meurt comme tous les autres dictateurs africains, loin de leur pays !

Comme toujours dans pareil cas, l'entourage du Président Omar Bongo Ondimba avait commencé par démentir l'information. La raison, tout le monde la connait. C'est gagner du temps afin de peaufiner les modalités d'une succession acrobatique voire monarchique que ne semble pas vouloir le peuple gabonais.

Ainsi, le "doyen" et vétéran des chefs d'Etat africains et seul maître à bord du rafiot gabonais depuis 1967 n'a pas un seul instant pensé à la mort. Quand son heure a sonné, il s'est éteint après avoir beaucoup brûlé. Il quitte la scène, non pas balayé par une révolte populaire, un putsch ou une révolution de palais, ni désavoué par les urnes, mais terrassé par un cancer intestinal.

Le "boss" a rendu les armes amer et usé. Meurtri par le décès le 14 mars à Rabat (Maroc) au terme d'une longue et lente agonie, de son épouse Edith-Lucie, fille du Congolais Denis Sassou Nguesso. Dépité du lâchage - pour l'essentiel imaginaire - de cette France qui le choya tant et qu'il servit si bien. Trop las, aussi, pour avoir orchestré à temps une succession dynastique que se disputent les figures de proue de sa descendance pléthorique.

Omar, prédisait en 2005 un de ses intimes, mourra au pouvoir. Il ne vit que pour ça. Nul doute que ses pairs blancs et noirs activeront, le moment venu, le moulin à louanges posthumes. Hommage au "sage de l'Afrique", qui sut grâce à son art consommé des alchimies ethniques et régionales préserver sur ses terres la paix civile, au coeur d'une Afrique centrale ravagée par la guerre.

Honneur à "l'homme de paix", si prompt à jouer les médiateurs dès qu'un conflit menace, le téléphone dans une main, le carnet de chèques ou la mallette de cash dans l'autre. Gratitude aussi, mezza voce cette fois, envers le "parrain" qui chaperonna et finança tant d'ambitions sur l'échiquier politique hexagonal ou au sein de la caste des avocats déférents, des émissaires retors, des conseillers flagorneurs et des journalistes à l'éthique élastique.

Mais ce rituel concert d'éloges ne saurait masquer les failles cruelles d'un règne de 42 ans. Emirat pétrolier du Golfe de Guinée, par ailleurs généreusement pourvu en uranium, minerais et bois précieux, le Gabon comme tous les pays africains d'ailleurs ressemble à s'y méprendre au royaume de l'injustice sociale. Un fossé béant sépare les nantis, barons du régime en tête, de la piétaille des bas-quartiers. Rarement l'"or noir" aura autant mérité la sombre tonalité de son surnom.

Les deux richesses nationales ont ceci en commun d'être mortelles. L'une et l'autre ouvrent, à l'heure du trépas, une ère d'incertitude, sinon de vertige. Il n'a jamais préparé l'après lui comme s'il était éternel. Un chiffre: en quatre décennies, le Bongoland, pourvu d'un revenu par tête équivalent à celui du Portugal, a asphalté moins de mille kilomètres de route.

Soit en moyenne 25km par an: pas de quoi se vanter. Pis, au palmarès du développement humain établi par l'Onu, il végète au 124e rang sur 177. Cherchez l'erreur. En jetant une lumière crue sur le patrimoine immobilier du clan familial, l'affaire dite des biens mal acquis, que Paris tente vainement d'étouffer, aura mis en évidence la propension à confondre budget de l'Etat et cagnotte personnelle.

Confusion qu'attestait déjà les myriades de comptes bancaires détenus aux Etats-Unis, en Europe ou dans une poignée de paradis fiscaux. S'il céda parfois à la tentation de la brutalité, au point de commanditer en 1979 l'assassinat à Villeneuve-sur-Lot du peintre en bâtiment Robert Luong, amant de la première Première Dame Marie-Joséphine, jamais le fils de paysan d'ethnie téké ne grossit la cohorte des satrapes sanguinaires du continent.

De là à dépeindre en pionnier de l'épopée démocratique le despote tempéré à la petite stature et au port altier, adepte des lunettes noires, du col Mao et de la fine moustache... A l'orée des années 1990, âge d'or de ces "conférences nationales" fatales au mono-partisme, le patron du Parti démocratique gabonais (PDG) sent son trône vaciller.

Il consent donc à reculons à lever l'oukase. Mais l'histoire de cette "ouverture" est aussi celle d'un double dévoiement. Dévoiement par la fraude électorale d'abord: accoutumé aux triomphes soviétiques - 1973, 1979 et 1986 - Omar Bongo l'emporte en 1993 d'un souffle pour le moins suspect. Dans tel arrondissement de la capitale, on dénombre autant de votants que d'habitants; preuve éclatante de précocité citoyenne.

Il déclara le plus officiellement du monde " qu'on organise pas des élections pour les perdre (...)Qui vous a dit qu'on organise des élections pour les perdre? Comment peut-on organiser des élections, y participer et les perdre en Afrique ? " C'est tout dire sur sa conception de la volonté du peuple.

Dévoiement par l'argent ensuite: le système Bongo, non content de rétribuer en liquide l'électeur méritant, achète le ralliement de dissidents parfois fictifs. A l'automne 2005, la nébuleuse présidentielle attire ainsi dans son sillage 42 partis d'opposition à l'audience confidentielle. Au coup de balai, le Palais du bord de mer, bunker kitsch et marmoréen récemment rénové à grand frais, préfère le maniement de l'aspirateur.

Reflet du génie d'équilibriste du "patron", le gouvernement du Gabon, mo-aïque ethnique et monarchie clientéliste, compte 52 ministres dont dix ministres d'Etat, ratio unique au monde au regard d'une population estimée à 1,4 million d'âmes. Mention spéciale au "vice-premier ministre à la présidence de la République, chargé de la Refondation, des Droits humains, de la Coordination des Grands Travaux et des Fêtes tournantes".

Adepte des bottillons à semelles compensées, le "grand camarade" aura ainsi conduit son attelage en chef de village paternaliste et madré, sous le regard bienveillant de l'ancienne métropole coloniale, et ce quel que soit le pedigree du locataire de l'Elysée. De fait, il n'a pas volé son diplôme honoris causa de docteur es-Françafrique, gage d'une loyauté certes ombrageuse, mais qui vient de loin.

C'est à Brazzaville, phare de l'Afrique équatoriale française (AEF), qu'Albert-Bernard Bongo, fils de paysans de la province du Haut-Ogooué et orphelin de père, décroche un emploi dans les Postes. C'est aussi à Brazza que, sous l'influence d'un inspecteur général des PTT nommé Naudy, il tâte du syndicalisme, s'encarte à la SFIO - l'ancêtre du Parti socialiste et découvre la franc-maçonnerie, prélude à une initiation formalisée à Angoulême sous la houlette d'une autre "métro", Pierre Bussac.

Un rien frondeur, le jeune méritocrate aurait même bravé les matraques coloniales. Péché véniel aux yeux d'une administration prompte à repérer à Fort-Lamy, la future N'Djamena, théâtre de son service militaire, un sous-officier futé. Retour du Tchad, Bongo met ses talents au service d'un Gabon fraîchement indépendant.

Aux Affaires étrangères, puis au cabinet du président Léon Mba. Bosseur, il gravit les échelons à marche forcée. A tel point que l'influent Jacques Foccart, le sorcier africain de Charles de Gaulle, songe à lui pour suppléer Mba, miné par un cancer, et escorte l'impétrant jusqu'au Château. "Un type valable", tranche le Général.

Reste à arracher l'aval du mourant quant au bricolage constitutionnel qui, dès son décès, propulse le vice-président à la magistrature suprême. Voilà comment, quelques mois avant Mai 68, un "type valable" de 32 printemps devient le plus jeune chef d'Etat de la planète. C'est d'ailleurs à Paris, dans l'enceinte de l'ambassade gabonaise, que l'élu des Français prête serment.

Et à Paris que, après les émeutes déclenchées par la mascarade électorale de 1993, il signe avec ses rivaux floués un compromis. Bongo pourra bien, de feintes colères en bouderies, brouiller son aura d'allié favori. Jamais il ne se dérobe. Le tuteur bleu-blanc-rouge épaule, à la fin des années 1960, la vaine sécession du Biafra, région rebelle du Nigeria? Il mise à juste titre sur l'appui de son protégé tropical.

Paris et Rabat rêvent, en 1976, de déloger au Bénin le marxiste Kérékou? L'appui logistique de Libreville leur est acquis. Et tant pis si la mutinerie animée par Bob Denard, alors expert en sécurité de la présidence gabonaise, vire au fiasco. Mercenaires, vétérans du renseignement, diplomates de choc: l'ami Omar attire à sa cour d'insolites supplétifs.

Maurice Robert, ambassadeur venu des services secrets via Elf, Maurice Delauney, proconsul de fait, Pierre Debizet, sulfureux patron du Service d'action civique , conseiller du prince jusqu'en 1981, ou Loulou Martin, intime de Jean-Marie Le Pen et un temps patron de la Garde présidentielle.

L'ancien de la SFIO n'est pas sectaire. Tour à tour gaulliste, pompidolien, giscardien, mitterrandiste, chiraquien fidèle puis sarkozyste contrarié, il déroute jusqu'à ses familiers. Ainsi en 1973, lorsque l'animiste repenti embrasse la foi du Prophète pour complaire aux Saoudiens, au grand dam d'une population majoritairement chrétienne.

Et cinq ans après avoir opté pour le catholicisme à la seule fin d'obtenir une audience chez Paul VI. Reste que le converti n'a jamais vraiment abjuré sa foi en la France, ni négligé le pouvoir prohibitif que sa loyauté d'airain lui conférait. A un quart de siècle de distance, il exigera et obtiendra la tête de deux titulaires du portefeuille de la Coopération.

Le socialiste Jean-Pierre Cot, perçu comme un dangereux boutefeu tiers-mondiste, dès 1982; et, en mars 2008, le catholique de gauche Jean-Marie Bockel, coupable d'avoir prétendu "signer l'acte de décès de la Françafrique". Il paraît que les histoires d'amour finissent mal en général. De fait, l'idylle franco-gabonaise aura viré à l'aigre sur le tard.

En mars dernier, pour être précis. "Biens mal acquis", saisie de deux comptes bancaires: voilà l'Elysée et le Quai d'Orsay soupçonnés de complicité avec les mystérieux cerveaux d'un complot ourdi sur les bords de Seine. Omar Bongo, cible à l'en croire d'un acharnement inepte, se sent trahi, blessé. Et pour cause: des décennies durant, il a bénéficié en pays gaulois d'une forme d'immunité.

Quitte à émettre, quand la justice française lui mordillait les mollets, des messages plus ou moins subliminaux, reçus cinq sur cinq à Paris. Tel fut le cas au plus fort de l'affaire Elf. Sur la forme, les mises en garde de El Hadj Omar Bongo Ondimba varient. Du billet signé Makaya à la Une de L'Union, seul quotidien national, et souvent inspiré par le palais, au livre d'entretien codé.

Il arrivait aussi à Bongo de lâcher au détour d'une conversation téléphonique avec Chirac, de sa voix traînante et chuintée, une sentence laconique: "Jacques, tes petits juges m'emmerdent".
Longtemps, les magistrats tricolores ont d'ailleurs été invités à ne pas importuner la figure de proue de la Françafrique. Laquelle en avait suffisamment sous la talonnette pour, sinon faire trembler la République, du moins épouvanter le landernau franco-français, dont il connaissait à merveille les arrières-cuisines.

Lui savait mieux que quiconque les largesses dont il a gratifié, au gré des campagnes électorales, les avatars du néo-gaullisme, mais aussi tel ponte du PS ou du Front national. Pas sectaire, vous dit-on. Ces habiles investissements lui ont valu indulgence plénière. Mais alors que son emprise et sa vigueur déclinaient, le vent s'est mis timidement à tourner.

Ajoutez-y la pugnacité des sociétés civiles et des ONG. Sous l'oeil d'Allah, du Dieu des chrétiens et des fétiches du bois sacré, Omar, dernier pachyderme d'une Afrique révolue, a rejoint le cimetière des Eléphants. Une certitude: son dernier voyage en espagne a sonné l'heure d'un changement d'époque. Vivre ou mourir pour la patrie, nous vaincrons.

Aucun commentaire: